Entretien avec André Rigaut par Erwan Kerzanet
Note d'André : l’écriture inclusive ne sera pas utilisée dans ce texte. Les appellations « ingénieur du son », réalisateur », « chef opérateur », « acteur », « maquilleur » etc. désignent ici les métiers, les fonctions. L’utilisation du masculin n’exprime ni ne définit en aucun cas une préférence de genre. Ce choix n’est fait que pour permettre une meilleure fluidité de lecture.
EK : Je me suis lancé dans cet entretien avec toi parce que je te connais depuis longtemps, que j’ai commencé à faire mes premières expériences à la perche en tournage avec toi à un moment où toi-même sortais d’années de compagnonnage avec Jean Umansky dont tu as été l’assistant pendant plusieurs années (avec Sophie Chiabaut aussi) entre autres sur des aventures très épiques en Russie, sur les films de Nikita Mikhalkov. Tu avais aussi à l’époque été en Afghanistan. Aujourd’hui tu as une longue filmographie qui passe par Lars Von Trier et Wim Wenders. Si moi-même je me prends au recul sur mes années de travail, je m’aperçois que certaines choses de ton geste me sont restées. Certaines de Jean aussi et d’autres ingénieurs du son que j’ai connus dans le travail. Je me dis, avec le recul, qu’il y a des années où tu fais les trucs sans y réfléchir, tu suis le hasard des rencontres, tu observes, tu essaies de comprendre. Puis, il y a des années où tu construis véritablement un geste qui devient le tien, puis des années où tu exploites ce geste et tu le fais vivre, tu le fais évoluer. T’es d’accord avec ça?
AR : Pourquoi pas, mais je dirais que ces trois phases ne sont pas forcément successives. Ce sont comme des strates géologiques dont la combinaison forme une assise, un socle, sur lequel on s’appuie film après film… il y a des pliures, des failles, des trucs enfouis qui remontent à la surface… c’est un mouvement sans fin, qui se passe de manière un peu aléatoire et chaotique. Et le nombre de couches augmente avec le temps. Si on file la métaphore jusque dans la cuisine, ça fait des lasagnes assez épaisses.
EK : Tes années d’assistanat vivent encore en toi où tu n’y penses plus du tout ?
AR : J’ai commencé la perche dans les années 80. Il y avait à l’époque beaucoup de binômes constitués ingénieur du son / perchman, parfois de véritables « couples », qui pouvaient durer plusieurs années. Sans que je l’ai vraiment voulu ou choisi, il s’est trouvé que je n’ai pas eu ce parcours : j’ai, pour ma part, travaillé aux côtés de beaucoup d’ingénieurs du son différents. Ainsi, j’ai picoré ça et là, et fait mon miel de ce que j’aimais chez les uns et les autres. Nous n’avions pas vraiment de formation à la perche à Louis Lumière (la formation était très théorique et technique, mais nous manquions cruellement de pratique), ni d’occasion de pratiquer la perche au cours de stages, et donc ça s’est fait sur le tas, après les années d’études.
Pas vraiment sur les tournages de courts métrages, car les équipes étaient constituées de gens comme moi qui travaillions gratuitement, et nous avions très peu - voire pas du tout - d’expérience. Donc, sur mes premiers ‘’vrais’’ tournages, je ne comprenais pas bien ce qui se passait. J’étais assez maladroit et encombré par la perche, le câble, etc. J’ai vraiment eu de la chance au début, sur les plateaux de téléfilm de FR3 à Lille (aujourd’hui France3) où j’ai débuté, de tomber sur des ingénieurs du son maison qui ont été gentils avec moi (parfois je me dis que si je me retrouvais aujourd’hui avec moi à 20 ans à la perche, je me virerais au bout de trois jours !). À force, j’ai tout de même fini par m’améliorer, puis j’ai rencontré d’autres ingénieurs du son sur Paris, qui faisaient des long-métrages de cinéma, c’était ce que je voulais faire.
Il y en a eu beaucoup, en citer la liste serait fastidieux, c’était parfois sur quelques jours ou pour quelques films. J’ai appris avec chacun un peu de ce qui a fabriqué l’ingénieur du son que je suis aujourd’hui. J’ai compris grâce à certains ce qui me plaisait, et chez d’autres ce dont je ne voulais pas hériter. Je pourrais, parmi ceux à qui je dois beaucoup, citer Gérard Dacquay - qui eut une carrière prestigieuse de perchman - qui m’a tout appris de la perche, Jean Louis Ughetto qui m’a aidé à comprendre ce qui est en jeu sur un plateau de tournage, Dominique Vieillard qui m’a montré la dimension poétique du son, Jean Umansky qui m’a appris à avoir du goût, à désirer les sons, et a prendre conscience que notre travail est d’une grande noblesse…
Je suis aujourd’hui extrêmement reconnaissant vis à vis d’eux. Encore aujourd’hui, confronté à une situation difficile ou délicate (que ce soit sur le plan technique ou dans ma relation avec un metteur en scène, un acteur, un chef opérateur, un perchman…) je convoque cette mémoire que j’ai gardée du travail d’assistant de mes anciens chefs.
EK : Si tu devais définir ce qui caractérise ton geste à toi, celui que tu as peaufiné avec le temps, sur tes propres convictions, tu t’y prendrais comment?
AR : Je vais essayer de répondre avec concision :
C’est Jean-Pierre Duret — dont je n’ai pas été l’assistant, avec qui je n’ai jamais collaboré, mais dont j’aime beaucoup le travail, qui, au cours d’une conversation, m’a fait prendre conscience que ce qu’on doit faire : l’essentiel de notre travail c’est essayer de comprendre ce que fait le réalisateur. Je dirais même plus (comme les Dupondt de Tintin) : comprendre le film qui est en train de se faire entre nos mains. Je crois que les membres de l’équipe d’un film ne sont pas au service d’un réalisateur, mais plutôt qu’ils travaillent ensemble, sous sa direction, sur un film, et que tous, (producteur, réalisateur, équipe…) sont au service du film, ils doivent en prendre soin.
Par ailleurs je crois profondément que le cinéma est un art de l’image, et que le son est une des façons de travailler l’image. Comme l’est le travail de la lumière, du cadre, et c’est valable aussi pour les décors, les costumes, le maquillage, le montage… Je ne crois pas qu’il y ait la moindre nécessité d’indépendance du son dans le récit cinématographique. Je suis intéressé par le son en ce qu’il agit sur l’image.
De fait, je ne sais pas vraiment, sur le plateau, quel son je désire tant que je n’ai pas une idée de l’image, et de la place qu’occupent les personnages dans le cadre. J’ai besoin de savoir la focale, où sera le point, quelle sera la profondeur de champ, la perspective, etc. Dès que je sais un peu ce qu’on cherche à voir (ou à ne pas voir), je peux me mettre en mouvement, commencer à penser à ce que je vais chercher à entendre. Et au fur et à mesure de la construction du plan, ou de la séquence, j’affine (ou je corrige) les choix que je voudrais partager avec le réalisateur, ce que je lui propose d’entendre. De même, au montage, le travail du son ne prend forme (et sens) que dans la manière où il interagit avec l’image, comme une sorte de contre-chant (c’est plus un contrepoint qu’un contrechamp !) de l’image, dès lors qu’il aide à la regarder mieux. Comme je le disais plus haut : c’est une manière de prendre soin de l’image. Et ça peut se partager avec les autres métiers du plateau : j’ai travaillé par exemple avec un 1er assistant caméra, Jean-Christophe ALLAIN, qui demande un casque pour lui, pendant tout le tournage : il écoute le son pour faire le point. Ainsi, il est plus proche des acteurs, nous sommes ensemble dans le mouvement du plan. En tournage documentaire, ou improvisé, c’est la même chose : je me représente mentalement ce que filme la caméra, ça me dit ce que je dois faire. Je ne perds jamais de vue la caméra.
Dans le travail du cinéma, que j’aborde par la « face du son » comme dirait un alpiniste, les questions qui se posent sont les questions premières du cinéma : le point de vue, la distance, le temps. Pour ma part, ce qui m’intéresse beaucoup, et que j’aime raconter à travers le son, ce sont les rapports de consonance(s), de dissonance(s) ou résonance(s) — le produit de la rencontre de plusieurs sons : la voix d’un personnage avec celle d’un autre personnage, un corps dans un espace, les paroles et les bruits, comment un plan en fait sonner un autre, jusqu’au rapport du spectateur aux hauts parleurs de la salle, et à l’écran… ces questions de confrontations, d’associations, de mise(s) en rapport(s) des éléments divers de la représentation cinématographique sont infinies, passionnantes, surprenantes, drôles, révélatrices : le son y participe évidemment pleinement.
EK: Je me fais une idée que ton travail, la recherche d’un son pertinent ou juste, passe par l’idée de recourir le moins possible au bruitage … c’est un truc qui te vient de Jean Umansky? Est ce que cela vient de ton goût pour le cinéma documentaire ?
AR : J’ai cru longtemps que c’était l’amour de la musique qui m’avait conduit au métier d’ingénieur du son, mais la pertinence de ta question me fait prendre conscience qu’entendre les bruits, tous les bruits, est au centre de mon intérêt pour le son. Etre assistant de Jean Umansky m’a vraiment permis d’apprendre et de comprendre que le son du plan, le jeu des comédiens, ne résident pas uniquement dans les dialogues. Le travail de l’ingénieur du son ne peut pas se suffire de la clarté et de l’intelligibilité des paroles, de même que le travail de la lumière et du cadre ne saurait se résumer à reconnaître le visage des personnages. Ce qui lie le son et l’image, c’est un rapport chorégraphique et musical. Le rythme. Depuis l’origine du cinématographe, c’est comme ça. (on sait par exemple que Chaplin, en cours de montage, organisait des projections, et travaillait le rythme de ses films en tenant compte des réactions sonores du public…). Les bruits — et la manière dont ils sont enregistrés (acoustique, distance,…) — y participent grandement. J’ai travaillé avec Jean dans les années 90, nous n’avions pas beaucoup de HF, il fallait tirer des dizaines de mètres de câbles et multiplier les micros, parfois seulement pour marquer 3 marches d’escalier en fond de cadre, une poignée de porte, un grincement de plancher… Lorsque j’ai voulu lui faire remarquer qu’on pourrait économiser ce temps d’installation et la complexité grandissante du dispositif de prise de son, que le bruiteur ferait ça très bien, Jean m’a répondu que nous allions passer plus d’une heure au tournage de ce plan, pendant laquelle nous allions faire attention à tout ce qui, sur le plateau, donnera de la singularité à la bande son. Tandis que la séance de bruitage n’y consacrerait que quelques minutes ; nous avions la possibilité d’en travailler la couleur, d’en organiser la polyphonie, c’était une opportunité qui ne se reproduirait pas pendant le processus de fabrication du film, qu’il fallait évidemment saisir ! Le temps de bruitage d’un film est limité à quelques jours, parfois jusqu’à semaines, et il y aurait de toutes façons une grande quantité de sons à créer lors de cette étape : tout ce que nous aurions déjà réussi en tournage, ou en enregistrement de sons seuls accorderait in fine au bruiteur plus de temps de création pour les autres sons que nous n’aurions pas pu faire. Nous travaillions en bipiste au Nagra IV-S, Jean mélangeait au tournage le son de parfois jusqu’à 10 ou 12 micros, et le son des rushes était très beau, riche, et d’une belle énergie. Nous avons aujourd’hui autant de pistes qu’on veut, les liaisons HF permettent de ne pas avoir à dérouler autant de câbles, alors pourquoi ferait-on moins bien ?
Grâce à Jean, j’ai ainsi par exemple remarqué que les bruits de pas n’apportent pas seulement au spectateur des informations sur les revêtements de sol ou la matière de semelle des chaussures. Ils sont complètement constitutifs du jeu des acteurs, et nourrissent le récit cinématographique. Chacun, dans la vraie vie, peut faire l’expérience quotidienne d’identifier grâce au son de ses pas l’un ou l’autre membre de sa famille, par exemple, et même à entendre s’il est fatigué, malade, excédé, joyeux… L’expressivité de la gamme des bruits est incroyablement étendue. Une caresse sur la peau, si l’ingénieur du son a pu prendre soin de l’enregistrer au moment du plan, portera une sensualité qu’il sera très difficile à reproduire en quelques minutes lors d’une séance de bruitage. J’ai même un jour eu une conversation avec un aveugle cinéphile ; je voulais qu’il me raconte son expérience du cinéma à travers le son. A un moment il m’a dit : « mais pourquoi tournez-vous les films toujours dans les mêmes décors ? » Il entendait en fait les mêmes sons de pas dans tous les films…
Je voudrais à ce propos partager une expérience très instructive avec l’actrice Valérie Lemercier, qui est très sensible aux bruits, aux sons. Elle avait sur le plateau deux paires de chaussures à talons : l’une avec la bonne hauteur pour le cadre – son partenaire était plus petit qu’elle, et l’autre plus haute, dont elle aimait le son. Nous avions envie de refaire après chaque plan, en son seul, ses déplacements, dans le décor, avec les « bonnes » chaussures. Valérie Donzelli, qui réalisait le film, possède elle-même une grande finesse d’écoute : elle était d’accord pour prendre ce temps sur le plateau. J’ai travaillé au montage des sons directs sur ce film : j’ai pu intégrer ces sons seuls au montage, et le résultat m’a surpris au delà de ce que j’en attendais : ces sons, en plus du réalisme que je cherchais, portaient aussi l’énergie, la gaîté du personnage… Et en plus, ils étaient quasiment synchrones et faciles à monter – et à mixer, puisqu’ils étaient déjà raccords. En plus de la vraisemblance, nous entendions l’état d’âme du personnage ! Le temps du bruitage ne permet pas cela.
Ce qui est aussi très intéressant dans cette expérience, c’est que nous avions profité de cette opportunité de sons seuls pour enregistrer, en plus, une sorte de sonothèque des bruits de pas du personnage dans le décor du film, avec Valérie Lemercier elle-même. Mais sans intention particulière liée à une séquence ou une autre : une banque de sons pour servir à n’importe quel moment du film. Nous avions ainsi enregistré méthodiquement montées et descentes d’escaliers, traversées de toutes les pièces, sur sols carrelés ou planchers, etc. J’ai voulu utiliser ces sons au montage, notamment pour la version internationale : j’ai été surpris de constater qu’ils n’étaient pas franchement meilleurs que ce que le bruiteur pouvait faire, que c’était laborieux à synchroniser, bref : ils n’offraient aucun intérêt particulier, parce qu’il leur manquait la dimension organique et émotionnelle, ils n’étaient portés par aucune intention. La séance de bruitage, pour le coup, a donné de meilleurs résultats.
J’essaie donc de reconnaître parmi les bruits ceux – souvent produits par le corps de l’acteur – qui racontent quelque chose (du personnage ou de l’espace dans lequel il est filmé), de ceux qu’on pourrait appeler « le bruit des choses », qu’il n’est pas toujours possible de produire sur le plateau de manière satisfaisante. C’est là à mon avis qu’est la plus grande beauté et l’apport poétique du travail du bruiteur. Malheureusement, il y a beaucoup de situations où l’enregistrement des bruits en même temps que les dialogues est rendu impossible ou quasi impossible. De plus, certains acteurs n’ont pas conscience que les bruits qu’ils produisent participent à leur travail sur le personnage, et ne se prêtent pas volontiers aux sons seuls. C’est pourquoi je ne néglige pas du tout la nécessité « technique » de la séance de bruitage. J’ai quand même une rapport très pragmatique à mon travail : disons que chaque fois que c’est possible, je pense qu’il faut faire tout ce qu’on peut sur le plateau, et en extraire tout ce qui est possible lors du montage des VI : cela permettra au bruiteur de mieux faire son travail.
Pour compléter ce chapitre du bruitage, un peu d’expérience de post-production nous rappelle que certains bruits, s’ils sont mal enregistrés, sont une calamité à refaire après le tournage, et à synchroniser au montage. Je pense par exemple à l’écriture (manuelle ou sur clavier)
Tu lies la pratique de l’enregistrement des bruits à celle du son dans le cinéma documentaire. Il est vrai que la combinaison des bruits très concrets du réel et la nécessité d’une certaine authenticité (cette action-là produit ce bruit-là dans la « vraie vie ») participe complètement de la démarche du cinéma documentaire. C’est un cinéma auquel je tiens beaucoup, que j’ai pratiqué autant que j’ai pu, auquel je participe toujours, malheureusement beaucoup moins qu’il y a quelques années (*).
Cela dit je n’aime pas mettre une frontière entre cinéma documentaire et cinéma de fiction. Ou alors qu’elle soit poreuse ! Pour moi le cinéma existe sous toutes ses formes, et s’il y a une distinction à faire, je dirais que je vois plutôt une différence entre le cinéma « en équipe très légère » et le cinéma tourné avec une « grosse équipe ». J’étais par exemple ingénieur du son sur le plateau du film Pina, de Wim Wenders, qui a été tourné avec 2 (en fait 4 !) caméras 3D stéréoscopiques, et sur Francofonia, d’Alexandre Sokourov : ce sont des films documentaires avec des moyens lourds dont le mode de tournage ressemble beaucoup à du cinéma de fiction, avec des camions, une cantine, de la machinerie, etc. Tandis que La guerre est déclarée long métrage de fiction de Valérie Donzelli a été fait quasiment avec une équipe de 8 personnes, (acteurs inclus !), en décors naturels. J’étais presque toujours seul au son, enregistreur en bandoulière et perche à la main, le plan de travail se décidait au jour le jour… Je pense aussi à la méthode de tournage de Lars von Trier sur Antichrist ou Melancholia, où mise en place, répétitions, et même indications préalables avant le tournage sont prohibées : c’est caméra à l’épaule (et enregistreur aussi), de manière totalement improvisée, qu’on filme les personnages. Rien n’est fait « pour la caméra » ou « pour le son », personne ne s’arrange les bidons. C’est à nous de trouver notre place, au moment où ça se passe, comme en documentaire.
Finalement j’essaie de prendre soin de tous les sons du plateau - qu’ils soient ou non des paroles. Une approche « documentaire » d’un cinéma qui se nourrit de réel, qui accepte les accidents, voire les désire, un cinéma avide de surgissements, de fulgurances, de surprises. Un cinéma qui questionne, qui écoute, qui regarde, qui cherche, qui ne prétend pas savoir à l’avance, et ne se propose pas de contrôler ce qu’on filme. Cet approche m’émeut et me stimule plus que la production d’une sorte de post-synchro en direct, sur un plateau isolé des bruits, sur un sol recouvert de moquettes, avec des accessoires entourés de feutrines. J’ai bien conscience du fait que le travail de post-production – montage et mixage - va s’en trouver plus difficile, plus ardu, probablement plus contraint aussi, mais la différence entre un son qui respire, qui crisse, et un son aseptisé me fait continuer à penser que ça en vaut la peine.
(*) Je suis très triste et préoccupé de constater qu’une grande part de la production de films documentaires choisit de se passer de la présence d’un ingénieur du son au moment du tournage. On prétend que c’est à cause de contraintes économiques, et c’est le premier poste qui saute, comme un fusible. D’autant plus que les chaines de télévision (ARTE comprise) se refusent maintenant à accepter d’entendre les langues étrangères. Elle ne veulent pas du grain, ni de la couleur, ni de la scansion de la voix, et choisissent de recouvrir la parole des personnes filmées d’une voix française aux intonations parfois surréalistes. Il semble que ce soit une nouvelle convention, à laquelle les réalisateurs sont forcés. Pourquoi un producteur paierait-il quelqu’un pour son écoute et son travail si ce qu’il produit doit être jeté à la poubelle par le diffuseur (qui finance le film) ? Ajoutez à cela le recours aux sonothèques, couvrez d’un commentaire en voix off – si possible d’un acteur connu, tartinez le tout de musiques expressives (nappes de synthé angoissantes et mystérieuses, émotions symphoniques ou fusions ethno/techno produites en home studio) et la bande son, montée, mixée, livrée clef en main en quelques jours, est bouclée. J’ai été moi-même sollicité par une production pour fournir au montage son des ambiances que j’avais enregistrées à Ndjamena (capitale du Tchad) pour un film tourné à Khartoum (Soudan), sans ingénieur du son. Imaginez des ambiances de Marseille dans un film à Montréal ! Il y a aujourd’hui souvent moins de réel dans la bande son d’un film prétendu « documentaire » que dans beaucoup de fictions !
EK : Ton récit me donne le sentiment que tu as quand même guidé tes pas dans la direction de cinémas particuliers, des espaces que tu as pu vraiment désirer ? Je t’imagine mal choisir un film sans considérer la manière dont tu vas pouvoir mettre en pratique ces réflexions que tu partages ici.
AR : Je ne sais pas si j’ai un désir de cinéma particulier. Je suis même surpris de constater que je prends plaisir à toutes sortes d’écritures. Les plans séquences très précisément réglés de Radu Muntean sont aux antipodes de l’improvisation de la caméra chez Lars Von Trier ! Il faut juste que je puisse me mettre en mouvement, que quelque chose dans le projet du film excite ma curiosité, mon désir, m’amuse, m’intéresse… Je ne me considère aucunement auteur ou co-auteur du film. Je peux même prendre du plaisir à participer à un film très éloigné de ce que je pourrais imaginer ou désirer par moi-même. De fait je jouis beaucoup dans la position du technicien : être associé à un film qui n’est pas le mien me donne l’occasion d’aller sur des territoires inconnus, d’apprendre toujours une nouvelle approche de mon métier, et remet souvent en cause mes a priori. Quand j’étais perchman et que je ne « sentais » pas bien comment un acteur bougeait, ou parlait, lorsque j’avais du mal à trouver son rythme, Dominique Vieillard m’avait appris à caler ma respiration sur la sienne, oublier mon propre tempo pour prendre le sien. Je fais encore ça aujourd’hui.
J’ai en revanche besoin d’une certaine proximité avec le metteur en scène. La possibilité de partager quelque chose. J’attends de lui qu’il attende quelque chose de moi. J’ai besoin de croire qu’il peut aimer quelque chose que je peux lui apporter. Et il me faut éprouver de l’estime pour son travail. Ça peut être une comédie populaire ou bien un film d’auteur chargé d’ambitions hautement artistiques, un film riche ou bien pauvre, avec beaucoup de scènes d’action ou très contemplatif, un film de genre ou un film de transgenre, tout me va.
Pourtant, il peut arriver qu’un projet, un scénario, une ambition sonore, ou encore parfois la réputation d’un réalisateur me donne très envie d’être de la partie, et que, par la suite, je comprends qu’il ne m’est demandé que d’être un prestataire de service, un peu comme un mercenaire. Dans ce cas, je suis déçu, je m’ennuie, je ne prends aucune forme de plaisir. J’essaie aujourd’hui d’éviter ça, ce n’est pas bon pour moi. Il faut au minimum partager un petit quelque chose ensemble, s’amuser un peu l’un avec l’autre. Il arrive aussi que la prise de son d’un plan se révèle plus ardue que prévue, que des difficultés surgissent (travaux dans la rue, tronçonneuse à proximité, acteur qui n’articule pas ou parle à un très bas niveau, décor choisi à proximité d’une autoroute ou d’un aéroport, utilisation d’effets spéciaux polluant l’espace sonore, manque de temps pour enregistrer un son seul …). S'entendre dire avec sollicitude, parfois de la bouche même du réalisateur, « je suis désolé pour toi » - comme si le son du film était mon problème personnel - me laisse pantois.
Mes motivations ont sensiblement évolué au cours des années. Quand j’ai commencé à travailler sur des films, j’étais stimulé par des challenges techniques, je désirais aussi le succès, la notoriété, l’argent… J’ai pu rêver d’avoir une filmographie prestigieuse, un beau tableau de chasse, j’aurais aimé que mon téléphone sonne pour des films célèbres, qui seraient vus dans le monde entier, qui feraient ma réputation et assureraient mon avenir. Aujourd’hui, je suis probablement devenu plus difficile dans mes choix. (Plus exigeant peut-être ?) Je tiens beaucoup à la qualité de la collaboration avec le metteur en scène. Et en plus, il faut que je sois content de ce que j’entends. La bande son sur laquelle je travaille, c’est un peu comme la maison où je vis. J’attache aujourd’hui plus d’importance à la manière dont je l’habite, et avec qui. Peu importe d’être dans les beaux quartiers.
EK: Tu as travaillé avec beaucoup de réalisateurs étrangers, est-ce que travailler à l’étranger t’amène à cultiver une sorte d’étrangeté dans ton travail ?
AR : J’aime bien travailler sur des films étrangers. Pour plusieurs raisons : la première est une question de concentration : loin de chez moi, je n’ai que ça à faire : travailler sur le film. Pas d’obligations sociales, pas de courses ni de ménage à faire, pas de soucis autre que ceux liés au travail. D’autre part, être étranger sur un plateau de film, surtout quand on est au son, cela signifie souvent être choisi. C’est bon pour l’ego — c’est déjà ça — mais c’est aussi le signe que le film compte sur toi. Du moins je peux me raconter ça. Les ingénieurs du son français ont une bonne réputation internationale, il faut donc être à la hauteur de ce que je suppose qu’on attend de moi. Cela stimule mon exigence par rapport à mon propre travail. Il m’est arrivé, en France, d’être sur un plateau et de sentir que l’on attendait surtout de moi que je ne fasse pas perdre de temps, qu’il n’y ait pas de perche dans le champ, c’est tout — bref de ne pas exister ! Quand l’ambition s’arrête là, on n’appelle pas un étranger pour faire le son. Par ailleurs le fait d’être étranger sur un plateau peut même faciliter le travail : si j’ai besoin d’un son seul, on ne me le refuse pas, même si on ne sait pas bien pourquoi, personne n’en conteste la légitimité.
Cependant je me pose des questions sur la langue. Comment peut-on accompagner un film sans en comprendre la langue, comment être un vrai partenaire quand, par exemple, un dialogue est mal écrit, et qu’il faudrait aider à le rendre plus fluide, poétique, signifiant, etc ? Quand je tourne en langue française c’est déjà difficile, alors, dans une langue étrangère qu’on maitrise plus ou moins bien… De même, si on passe à côté de ce qu’un réalisateur dit à ses acteurs, à un accessoiriste ou un maquilleur, c’est un peu comme si on restait sur le palier. Radu Muntean, un réalisateur roumain avec qui j’ai tourné 3 films, dont j’admire et aime le travail, fait parfois plus de 40 ou 50 prises de plans séquences compliqués. Il parle beaucoup à son opérateur et à ses acteurs entre les prises, il les visionnent ensemble, plusieurs fois, avec des arrêts sur images, parfois les échanges sont très vifs et passionnés, et je ne comprends que très partiellement où est le problème. Si je lui pose la question, il me dit, « ne t’inquiète pas, c’est pas des trucs de son »… C’est pour moi la limite de l’expérience du film à l’étranger.
Y a-t-il une forme d’étrangeté dans mon travail ? Je sais pas : ce que je fais avec le son m’est très familier, c’est le fruit de mon apprentissage et de mon expérience. D’où, évidemment une pratique singulière. J’allais dire : comme tout le monde ! Je ne cherche pas à être original, mais plutôt à me sentir bien. Et vivant.
EK : Il y a une vraie spécificité du cinéma roumain ?
AR : J’ai eu la chance de collaborer avec plusieurs réalisateurs roumains. Cristi Puiu, Radu Muntean, Corneliu Porumboiu, Călin Peter Netzer, Florin Serban. Tudor Giurgiu…
Ils sont tous plus ou moins considérés comme appartenant à la « nouvelle vague roumaine » qui est un concept surtout médiatique, qui a offert à beaucoup de cinéastes roumains une belle exposition dans les festivals internationaux.
Je ne sais pas s’il existe quelque chose de spécifique comme « un cinéma roumain », en fait. Disons que, comme en France, il existe en Roumanie un cinéma commercial populaire, qui ne s’exporte pas, mais qui a assez de succès pour qu’il y ait une économie. Je ne connais pas bien ce cinéma-là, mais il permet que des outils de production, des prestataires, des loueurs, des studios, des professionnels en vivent. Il faut savoir que la plupart des salles de cinéma sont des multiplexes dans des centres commerciaux. Par ailleurs la diffusion du cinéma d’art et d’essai est plutôt confidentielle, il y a très peu de lieux de projections. Ce qui est surprenant, c’est que malgré cette absence d’exposition au niveau national (c’est un pays plus petit et moins peuplé que la France), il y a quand même à Bucarest une très forte densité de bons réalisateurs/auteurs au mètre carré.
En réponse à l’obstacle que posent les moyens financiers réduits je constate une très bonne qualité de préparation, très précise, et une absence de gaspillage. Un certain nombre de ces cinéastes accordent beaucoup d’importance à l’écriture du film au moment du tournage. Ce n’est pas un cinéma qui se fabrique en post-production : les plans tournés ne sont pas considérés comme de la matière première, ce sont déjà des plans qui constituent une forme en soi, comme des tableaux. Beaucoup de ces cinéastes (Puiu, Muntean, Mungiu…) ne tournent qu’en plan-séquences (de vrais plan-séquences qui seront montés comme ils sont tournés, sans être saucissonnés par des plans de coupe). Ces plans-séquences sont même précisément décrits dans les scénarios qui prennent parfois la forme de « découpages techniques ». Sur le plateau, ils sont répétés de nombreuses fois, on peut passer des journées entières à répéter, car la chorégraphie peut être complexe, même si on ne cherche pas forcément le spectaculaire. Quand il y a une fausse note, on recommence tout. On ne fait pas de « pick up » car le plan doit être solide du début à la fin. J’ai remarqué qu’en général, au cours de ces plan-séquences — qu’ils soient courts ou très longs, il arrive souvent quelque chose d’important aux personnages, quelque chose qui va changer leur vie, les conduire à faire des choix, à penser différemment. Il s’est passé quelque chose pendant le plan. et c’est pour ça que, pour eux, le moment où ça a lieu ne peut pas être raconté par une coupe de montage, ne serait-ce qu’un raccord dans l’axe, ou un jump cut. Ce n’est pas une question de virtuosité, mais de récit. Le montage n’est pas là pour rattraper le manque de rythme du tournage, mais pour travailler sur la structure globale du film. D’autre part, en Roumanie, les acteurs ne se comportent pas comme des stars, ils arrivent sur le plateau en connaissant parfaitement le texte, savent tenir compte dans leur jeu des nécessités techniques (être dans ses marques, être intelligibles, manier les accessoires de manière adéquate, etc…). Il arrive aussi qu’en amont du tournage du film, lors de la préparation, on en profite pour répéter des séquences difficiles pour un autre jour. Comme un peintre ferait des esquisses préparatoires. On utilise un téléphone portable en guise de caméra, et l’on déroule la scène dans les décors où aura lieu le tournage, en présence des chefs de poste.
Le cinéma roumain est souvent un cinéma assez réaliste, contemporain, qui ne recourt pas beaucoup aux effets spéciaux. Pour la pratique du son direct, c’est une expérience rêvée. Le film se déroule presque en temps réel. Un passage d’avion ou d’ambulance dans le cours d’un plan de 6 ou 7 minutes ne pose aucun problème, ils font partie du plan. Les accidents peuvent être bienvenus. Le choix d’une prise de son LCR prend tout son sens, on peut faire tous les choix qu’on veut dans l’enregistrement des voix, des bruissements, des respirations, etc, dans l’acoustique du décor et selon les rapports de profondeur définis par la perspective de la caméra.
Par ailleurs, il n’y a pas de bons studios de bruitage à Bucarest, donc il faut tout enregistrer lors du tournage. Même si c’est difficile, on a le temps de se préparer et d’en parler avec le réalisateur. On écoute ensemble, on affine, sur le plateau, puis au montage son (souvent je collabore au tournage et au montage, ce qui offre l’occasion d’une collaboration plus complète avec le réalisateur, sur une longue durée). Il y a peu de musique extradiégétique dans ces films, parfois pas du tout. L’émotion sonore vient essentiellement du travail du son direct et du montage son, et du mixage.
Voilà mon expérience du cinéma roumain, et c’est pour ça que j’y retourne volontiers !
EK : Il y a une catégorie de cinéastes qui aime ne pas avoir à transmettre le travail du tournage à la post-production, à répéter les choses. J’imagine que ceux avec lesquels tu as travaillé s’intéressent au développement de tes idées en cours de montage son, tu t’en occupes souvent toi-même ?
Le montage son est un métier bien différent du chef opérateur du son de plateau : établir un plan de fréquence pour les HF, enregistrer des dialogues sur le pont d’un chalutier en pleine tempête, c’est très éloigné de l’utilisation d’un Protools, de la dextérité dans l’utilisation des raccourcis claviers ou de la maîtrise des nombreux plug-ins d’une station de montage. On pourrait comparer ça avec les différences entre le travail d’un directeur de la photographie sur un tournage et celui du responsable des effets spéciaux numériques, de l’étalonnage, etc.
La comparaison s’arrête là : il est difficilement concevable que le directeur de la photographie d’un film soit exclu de l’étalonnage. En revanche, on constate quasi systématiquement en France un cloisonnement assez étanche entre tournage et post-production dans le domaine du son. Assez étanche et assez étrange. (Par exemple, nous avions cru, Jean Pierre Laforce et moi, n’avoir jamais travaillé sur un même film. J’ai vérifié sur imdb et c’était faux ! Il avait mixé il y a une dizaine d’années un long métrage où j’avais été ingénieur du son. Ni lui, ni moi ne l’avions remarqué !) Au lieu de mettre en commun nos compétences dans un travail collectif, on a l’impression parfois de passer le bébé à la fin du tournage, pour le voir s’éloigner dans le couloir de l’hôpital derrière la porte battante, dans le bras des experts-chirugiens du son.
J’ai constaté que ce n’est pas la même chose dans d’autres pays. Il y a bien sûr partout des spécialistes, des gens qui se sentent mieux en auditorium et d’autres qui aiment le chaos des plateaux de tournage, mais leur travail est coordonné, dans une relation continue avec le réalisateur. J’ai par exemple travaillé en Russie sur te tournage d’un film, puis au montage, et j’ai enregistré les bruitages, les doublages, demandé à un autre monteur son qui avait un savoir bien supérieur au mien de rejoindre l’équipe, dialogué avec le compositeur, assisté à l’enregistrement des musiques, travaillé au montage de ces musiques avec le réalisateur, etc… C’est Vincent Arnardi assisté de Julien Perez qui a mixé le film à Moscou : nous ne nous sommes pas quittés de tout le temps de mixage.
EK : Tu n’as jamais poussé la logique jusqu’à mixer toi même les bandes sont que tu as fabriquées ?
AR : Le montage des directs et la prise de son sur le plateau me paraissent très proches, très organiquement liés dans un même geste, mais je crois que le mixage demande un autre état d’esprit. Je ne serais probablement pas capable de mixer un film. Pour des raisons techniques très certainement, mais aussi et surtout à la nature même de ces deux étapes de la bande son :
Au tournage, ainsi qu’au montage, on ouvre des portes, on se promène dans le champ des possibles, on fait des propositions, etc. Je découvre le film comme un paysage nouveau, une maison à plusieurs pièces, recoins, souterrains et cabinets secrets. Je me dis : « tiens, on pourrait aller là, ou là, ou voir ce qui se cache là… » Je peux me tromper de démarche, changer d’avis, essayer autre chose…
Le mixage en revanche est le lieu de choix, l’étape où, à la fin, le film est comme ça. S’il manque quelque chose on n’ira pas le chercher ailleurs. Il sera montré au public comme ça. Ça me terrorise, en fait. D’autant plus qu’on sait bien que d’une salle de projection à l’autre, d’un écran à l’autre, il ne va pas sonner de la même manière. Il faut donc un mental serein, un calme intérieur, beaucoup d’expérience. Il faut accepter de se dire : « on ne reviendra pas là dessus » Je n’en suis pas du tout capable, c’est pourquoi j’admire beaucoup les mixeurs.
Il est vrai qu’iIs bénéficient de la présence attentive des réalisateurs, qui souvent ne s’intéressent vraiment au son qu’au moment du mixage, où ils sont plus concentrés sur ce qu’ils entendent qu’au tournage, et qui sont souvent malheureusement peu présents pendant le montage des sons (directs et additionnels). Mais le mixage ne dure pas très longtemps. Deux ou trois semaines, parfois moins, pour entrer dans une nouvelle collaboration, comprendre qui on a en face de soi, proposer des choix artistiques et résoudre en même temps des problèmes techniques (même si, aujourd’hui, beaucoup de soucis techniques sont solutionnés avec les outils du montage). C’est donc véritablement le moment de grâce pour le son du film. Dans toutes les acceptions possibles de ce mot : au mixage, effectivement, la grâce peut surgir, mais ça peut être aussi le coup de grâce où on achève le film !
J’ai dû une fois ou deux, au début de mon parcours dans ce métier, mixer un court métrage. Je n’en dormais pas de la nuit, je doutais de tout et me trouvais incapable d’aider le réalisateur en quoi que ce soit. J’apprécie donc d’autant plus la collaboration que j’ai pu avoir avec quelques mixeurs, en France ou à l’étranger. En les regardant travailler, en échangeant avec eux, j’apprends aussi beaucoup ce qu’il ne faut pas oublier sur un plateau : sur le terrain, on pense le plan dans le mouvement des acteurs, et de la caméra, mais le mixeur, lui, doit penser le film, dans son mouvement global.
Il me faudrait probablement plus de sagesse et moins d’impulsivité pour être capable de mixer un film. D’autant plus que j’ai besoin de bouger, de déplacer mon corps, pour trouver mon équilibre. Les mixeurs vivent dans le noir, assis derrière une console… c’est trop difficile pour moi !
EK : Il y a des lignes que tu aimerais voir bouger dans l’organisation de la post production ?
AR : La manière dont je vis ça aujourd’hui est la suivante : lorsque la relation avec le réalisateur est intéressante, fructueuse et heureuse, je lui propose de travailler au montage des directs. Je déteste appeler ça montage « paroles », car je ne mets pas de hiérarchie entre les sons d’un film : le bruit des pieds nus sur des tommettes humides peut m’émouvoir tout autant qu’un soupir, ou que le monologue de Hamlet ! Le montage des directs n’a pas pour objet principal le « nettoyage » des sons directs ou la mise en phase des HF avec la perche. Ce qui est en jeu, c’est la valorisation des sons enregistrés sur le tournage (les sons synchrones et les sons seuls), leur exploitation la plus aboutie possible : ils sont le matériau singulier d’un film, le résultat de plusieurs semaines de travail, aux côtés du réalisateur qui conduit le film, dont on apprend jour après jour à connaître le regard, la sensibilité, les intentions. Je connais bien ce matériau, j’en aurai plusieurs années encore la mémoire dans les oreilles ! Le montage des directs n’est certainement pas un supermarché en libre service ou les produits doivent être présentés au mixeur dans des rayonnages pré-établis, avec des têtes de gondoles, etc. J’adore être surpris au tournage par des réalisateurs qui m’apprennent a faire des choses que je ne sais pas faire : on peut proposer le même plaisir, le même défi de créativité aux mixeurs aussi. J’en connais peu, en fait qui n’aimeraient pas ça, et qui au contraire souhaiteraient mixer la même bande son toute leur vie ! Et j’aime aussi qu’il y ait des oreilles fraîches dans l’équipe de post-production. J’aime travailler au montage des sons (directs et montage son, cela peut être assez poreux) en binôme avec un monteur son « de métier » qui a beaucoup plus de maîtrise des outils de post production que moi. Une personne libre de tout fétichisme du son direct et qui découvre le film tel qu’il prend forme, après quelques semaines de montage image. On travaille alors ensemble au son du film, on développe ce travail avec le mixeur et le réalisateur. J’éprouve beaucoup de joie quand cette association est pétillante, et j’apprends énormément aussi sur mon travail sur le plateau. Le tournage reste mon métier principal. J’ai eu plusieurs fois la chance de pouvoir mettre en place ce type d’association des savoirs et des talents, et ça a toujours donné de très belles bandes son, singulières et inventives. En revanche je ne souhaite pas travailler au montage des directs lorsque ce n’est pas moi qui les ai enregistrés au tournage. Je suis perdu si je ne sais pas à quelle distance est la perche, pourquoi les HF sonnent comme ci ou comme ça, comment sont choisis les niveaux relatifs de telle ou telle piste, etc… le pire étant quand les pistes ne sont pas modulées (pre-fader) : dans ce cas je ne comprends rien du tout et je suis incapable de monter quoi que ce soit d’intéressant. Je ne comprends pas d’ailleurs comment font les monteurs « paroles » quand ils n’ont aucun contact avec l’ingénieur du son, alors que leurs deux métiers et leurs responsabilités communes sur le film sont si intimement liés.
Je reste convaincu de la nécessité de connaissance des techniques et des personnes « des deux camps » (production / post-production). C’est sans doute la raison principale de mon adhésion à l’AFSI, en imaginant que cette association puisse se développer comme un vrai lieu d’échange et d’invention de nouvelles méthodes de travail, à partager bien évidemment avec les réalisateurs sur le son d’un film. Beaucoup reste à faire, ne serait-ce que dans la formation des générations futures.
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