A propos du son de Bardo, le dernier film d'Alejandro Gonzalez Iñarritu.
Le Jeudi 9 Mars, l’Afsi organise un ciné-club autour de Bardo, le nouveau film d’Alejandro Gonzalez Iñarritu. Carolina Santana, Ken Yasumoto et Nicolas Becker qui ont travaillé sur la bande son et seront présents pour une discussion à l’issue de cette projection témoignent de cette expérience unique.
EK : J’ai toujours une grande excitation à découvrir un film d' Iñarritu, entre autres, parce qu’il y a une dimension spectaculaire fondée sur des expériences de temps et d’espace qui offre toujours une très belle place au son. Bardo, False Chronicle of a Handful of Truths (Fausse chronique d’une poignée de vérités) a été projeté à Venise et vient d’être mis récemment en ligne sur Netflix. Alejandro G. Iñarritu qui a déjà obtenu 4 Oscars et 127 nominations (!), constitue pour ce nouveau film une équipe son hybride, mexicaine d’une part, autour de ses vieux compagnons de route Martin Hernandez (sound supervisor) et Jon Taylor (Re-recording mixer) et française en demandant à Nicolas Becker et son équipe de co-superviser le son du film. Travail atypique, démesuré, dans les moyens mis en œuvres et le temps de tournage, près d’une année sur le montage son et le mixage. Carolina, Ken, Nicolas, je crois que ça a été long et sinueux, la bande son est incroyablement riche, extrêmement complexe et en même temps, d’une grande clarté. Comment est-ce que vous avez pénétré l’espace mental et cinématographique d' Alejandro Iñarritu ?
KY : Par la bobine 1, en octobre 2021. A ce stade nous n’avions rien vu d’autre du film ni lu de scénario. Nous avons fait un premier essai sur cette bobine sans vraiment comprendre les dialogues (je ne parle pas espagnol). On a plongé dedans, un peu brutalement. Si je me rappelle bien, ce premier essai fût un échec. Mauvaise direction… mauvaise interprétation. On a longuement discuté avec Alejandro, puis refait un « essai », et là il était content… content de la direction en tout cas. Et je dis « essai » parce que rétrospectivement je me demande si c’était pas une façon pour lui de nous tester. Puis ce qui nous a mis la puce à l’oreille suite à ses réactions, c’est l’évocation de Jacques Tati, je crois qu’Alejandro a utilisé le mot : « Tati-esque ». Notre premier essai ne prenait pas en compte l’aspect « comédie « de Bardo et encore moins une dimension « Tati-esque ».
NB : Lors de l’écoute de notre premier essai sur la première séquence, les réactions de Iñarritu nous ont fait comprendre qu'il était fondamental de lui faire écouter une séquence complètement travaillée, c’est-à-dire avec les dialogues, les sound design, les bruitages intégrés, etc. On a donc demandé à recommencer notre essai en travaillant le son complètement et en rectifiant aussi la direction artistique de manière à developper le côté « Tati-esque » qu’il nous avait suggéré, en rendant la bande son plus grotesque que ce que nous avions fait la première fois.
À partir de là, vous avez réussi à vous projeter sur le film ? Comment vous êtes vous imaginé le reste du travail à faire ?
KY : On ne s’est pas vraiment projetés. Comme je le dis plus haut, on a procédé au coup par coup, on a continué à faire des « essais ». Alejandro, lui, appelait ça des « exercices ». C’est surtout Nicolas qui parlait avec Iñarritu de ce qu’il voulait entendre, ensuite nous faisions nos « essais » et puis on lui envoyait, il nous renvoyait alors ses notes ou bien il nous demandait d’aller dans une autre direction… pour essayer autre chose. Alors on recommençait, et souvent on finissait par combiner différentes versions. Il nous arrivait aussi de tout effacer et de tout recommencer de zéro. Le film était un perpétuel mouvement : montage > montage son > mix > montage > montage son > mix, etc… On s’est peut-être imaginé une esthétique du son par moment mais on a vite été attrapés par la vision extrêmement puissante d’Alejandro. J’ai surtout l’impression qu’on a effectué un travail de recherche dans le cerveau d’Alejandro et sous sa propre direction avec toutes les hésitations, les bégaiements, les incertitudes que supposent ce genre de recherche. Ce qui n’a pas été de tout repos. Mais ce qui rend passionnante sa manière d’aborder les choses, c’est qu’il ne rejette jamais complètement un « exercice ». Il fait lui-même, à chaque fois, un travail très intense d’écoute, de réflexion. Donc, même si un « essai » ne va pas dans la bonne direction il va s’y intéresser vraiment et tenter d’en extraire les éléments les plus pertinents pour pouvoir les utiliser.
Il y a une « méthode Iñarritu »? Une forme de travail qui donne cette couleur particulière au son de ses films ?
KY : S’il y a des «méthodes » de travail particulières sur ce film ne sont dues qu’à la nature et à la personnalité d’Alejandro. Mais je dirais plutôt qu’il n’y avait pas de méthode ni de réelle organisation. Les exigences et le cheminement créatif d’Alejandro nous ont très vite submergés et il n’était plus vraiment question de « geste » de travail. Nous avons surtout tenté de gérer au mieux. Ce que je dis peut paraître négatif mais en vérité c’est tout le contraire. Je pense que le chaos, la désorganisation, la surprise et l’improvisation participent plus à la création qu’une organisation stricte et bien huilée. Je dis ça égoïstement car je savais que nous avions Carolina derrière nous pour redresser la barre et c’est elle qui nous permettait de retomber sur nos pattes à chaque fois que le travail prenait ce côté chaotique. La réalité ça a surtout été : espoir d’organisation > désorganisation > chaos > réorganisation (grâce à Carolina), etc. Ça a été dur par moment…
NB : Lors de notre rencontre, Alejandro m’avait demandé comment on travaillait et je lui avais dit que notre but c’était de coller au plus prêt de ses intuitions et qu’on allait suivre de manière « organique ». Lui, il appelait ça une manière « hollistique » de travailler, et ça lui faisait peur. Mais à la fin il était très content de cette manière de faire, de coller systématiquement au plus près de ses désirs et de ses intuitions en suivant de près les évolutions du montage. Je me suis retrouvé sur ce film principalement du fait de mon travail sur Sound of Metal de Darius Marder (Oscar for Best Sound for Feature Film 2021) qui est un récit où nous sommes dans la tête de Ruben Stone (Riz Ahmed) et, dans Bardo, on est dans la tête de Silverio (Daniel Gimenéz Cacho). Il se trouve que Carlos Reygadas était un ami, que Darius Khondji, qui a fait l’image du film est aussi un ami, il y avait un faisceau de circonstances. La première personne que j’ai impliquée c’est Carolina, qui est exceptionnelle, très polyvalente et Vénézuélienne, donc de langue espagnole et avec qui j’avais travaillé déjà sur Sound Of Metal. Avec Ken, c’est une autre relation, je dirais que depuis Silent Hill, nous avons pris l’habitude de nous inviter mutuellement sur les gros projets, on s’entend super bien, on a les mêmes goûts. Nous avons tout de suite pensé que sur un film aussi subjectif que Bardo le fait de pouvoir mixer les séquences pendant la phase de montage son, de pouvoir donner un avant-goût du résultat à Alejandro, développer les sensations et les intentions qui ne passent que par le mixage c’était fondamental. À nous trois, Ken, Carolina et moi formions une équipe capable de faire plein de choses différentes. Ken : prise de son direct, montage son, sound design, mixage, montage, bruitage, organisation. Carolina : montage son, montage musiques, montage dialogues, montage bruitages, organisation. Moi : sound design, musiques, field recordings, bruitages. Donc, du coup, on pouvait se relayer en permanence pour être là où il fallait être. En fait, entre nous il y a une grande confiance, il n’y a aucune instance de contrôle et de communication via mail, ce sont des choses qui sont utiles dans des grosses équipes hiérarchisées. Ici ça reste très artisanal. Sur The Revenant, ils étaient 27 dans l’équipe son, nous on était 7 ou 8 selon les moments. Comme le disait Ken, il y a eu des périodes très dures, surtout quand AIejandro flippait parce qu’il n’avait pas encore de distributeur pour le film. Il avait 40 millions d’excédent de dépenses, plus le Covid… il était devenu une sorte de « Ubu Roi », complètement incontrôlable, ça a duré 2 semaines comme ça, puis il a vendu le film à Netflix et il est redevenu un homme.
En voyant le film j’ai une liste de questions hallucinante qui me vient en tête, j’aimerais savoir comment ont été tourné presque toutes les scènes du film ! Il y a un sound design qui est finalement souvent très subtil et reste discret et une énorme partie de la vitalité vient d’un son naturaliste autour des voix et du jeu des acteurs. En tant qu’ingénieur du son, je me dis que le travail du son sur le plateau a été très épique et le résultat est très fort je trouve.
CS : C’est un travail énorme au plateau qu’il a fallu honorer en post-production. Le travail des voix a été supervisé par Martin Hernandez au Mexique et Alejandro a ré-enregistré pas mal de choses des dialogues pendant la post-production mais, au final, au mixage, il n’a souvent gardé les synchro que pour des changements de texte, nous avons réussi à récupérer presque tout le son direct. Alejandro a tenu à garder le son direct partout où il le pouvait. Nous avons dû refaire plusieurs phrases dans la boîte de nuit mais très peu. Sur les grosses scènes de dialogues, il n’y avait pas énormément de prises mais suffisamment pour aller piquer de temps en temps une réplique. Pour certaines scènes, nous avons travaillé à gommer les acoustiques de studio, notamment pour le monologue sur la montagne de corps qui était tourné en intérieur, sur fond vert. J’ai éliminé l’acoustique avec Descript. Le film doit avoir 90 % de son direct au final.
C’est agréable de pouvoir travailler dans ta langue ?
CS : C’était sans doute très utile d’avoir une oreille familière à l’espagnol. La langue joue un rôle fondamental dans la création. Il y a une précision dans la communication, qui permet d’attraper des subtilités importantes et qui facilite les rapports de travail, ce qui me manque parfois en France. Bardo est un film où les liens entre les personnages passent beaucoup par les dialogues et les voix. Je suis née à Caracas au Venezuela et j’y ai vécu jusqu’à mes 17 ans. Ma passion pour le son est venue de mon grand-père qui était ingénieur du son, photographe, écrivain et poète. Il a écrit plusieurs chansons et il a travaillé au Vénézuéla surtout dans les enregistrements et le mixage d’albums en musiques traditionnelle et classique. C’était un mélomane et cinéphile qui tenait ça de son père à lui, qui était aussi dramaturge et photographe. Depuis petite, la musique est au cœur de ma vie. Je suis donc contente de pouvoir travailler sur des projets artistiques qui me ramènent un peu à mes origines, il y a un attachement particulier qui se crée sur ces films-là.
Si on regarde Bardo en se focalisant sur l’idée que c’est un portrait d’Iñarritu, on peut passer à côté du film. C’est un film génial sur la question de la vérité. Le son est ici utilisé pour jouer sur l’ambiguïté entre vérité et mensonge.…
NB : Alejandro est très proche de la culture bouddhiste, il médite beaucoup. Son rapport à la vie, à la mort, à la réalité, à la fiction est très particulier et très personnel. Ce qui est étonnant, c’est que tu t’attends à travailler avec quelqu’un de très précis, qui a des idées très affirmées, un style très défini, mais en fait, il est très peu sûr de lui, il n’a aucune idée pré-établie: il explore, il réfléchit, il se perd, mais avance toujours, imperturbable. C’est aussi un orateur merveilleux. Quand il doit parler de ses intuitions par rapport au film, il décrit les moods, les sensations qu'il veut obtenir, avec la précision d’un romancier, et même temps, il nous laisse complètement libres sur les choix techniques ou même sur les chemins artistiques pour y arriver. J’ai connu la même chose en travaillant avec Andrea Arnold ou Philippe Parreno, j’aime beaucoup ça.
La bande son est très musicale, il y a un rythme vraiment génial et une grande vitalité qui passe aussi beaucoup par les voix. Pendant tout le film on a l’impression d’être entre passé et présent, les voix portent en elles beaucoup du présent et les sons des distances très belles. La grande scène de la boite de nuit est un très bon exemple, je trouve.
CS : Le décor de la boîte de nuit est la reconstitution d’un lieu mythique qui est fermé aujourd’hui mais qui a été une lieu de danse très populaire à l’époque où se passe le récit, plutôt une « ballroom » qu’une boîte de nuit. Le lieu est donc vraiment travaillé au son dans le sens de pouvoir coller aux souvenirs qu’Alejandro avait de cet endroit. Au mixage nous avons travaillé les acoustiques avec Jon Taylor pour retrouver non pas la réalité du lieu de tournage mais plutôt la vérité du lieu. C’est le traitement très très naturaliste qui donne le côté « documentaire » et nostalgique à la fois. Et puis il y a beaucoup de ce que l’on entend qui vient du plateau, les voix qui sont en son direct mais aussi dans les musiques diffusées sur le plateau. Tous les changements de musique que déclenche Camilla (Ximena Lamadrid) étaient faits en direct et pour les scènes avec dialogue, Santiago Nuñez a diffusé des « thump tracks », un beat à basses fréquences, pour faire danser les figurants en rythme sans que cela ne nuise trop au travail sur les musiques en post production. La grosse difficulté que j’ai eue au montage son c’était de pouvoir accompagner tous les changements de vitesse de l’image. Il y en a beaucoup sur le parcours de Silverio, dans la boîte lorsque la caméra arrive jusqu’au chanteur qui chante sur scène etc. Alejandro aime modifier la vitesse de l’image au montage, comme il l’avait fait sur Birdman. Il a fallu créer un système de repères sur nos projets pour pouvoir ajuster et compenser tous les changement de vitesse et être sûr d’avoir toujours le son synchrone, que les danseurs à l’image suivent le rythme de la musique.
K.Y: La scène du California club a été extrêmement compliquée à monter et à mixer (comme toutes les scènes au fond). Nous avons chacun nos scènes références en terme de plaisir mais aussi en terme de souffrance. Me concernant par exemple la scène de déambulation dans downtown Mexico a été extrêmement fluide à concevoir. Il y avait comme une évidence (sauf les corps qui tombent, les « bodies falls »).
En revanche la scène du California club n’a été que souffrance. Notamment la séquence sur la terrasse du club. Cette scène nous l’avons littéralement remontée en audi avec Alejandro. Monter une scène en live en la présence d’un réalisateur comme Iñarritu je ne le souhaite à personne. Il s’agissait de créer un bordel sonore propre à Mexico mais pas trop non plus car la scène est très dialoguée. C’est marrant parce que je n’aime pas le résultat final, en tout cas je ne le trouve pas abouti. Maintenant que je crois comprendre ce que voulait Alejandro je pense qu’on aurait pu mieux faire.
Mais Alejandro a besoin de s’approprier chaque étape de fabrication du film et parfois il veut avoir un rôle actif dans le montage son. Le petit défi des scènes d’intérieur du California Club a été de retrouver l’ambiance qui règne dans ce type de club à Mexico. Ca allait des réactions du public à la manière dont sonne un orchestre. Pour l’anecdote, à ma 1ère tentative de mix du California Club, Alejandro a réagi en disant à Nico que ce n’était pas un film de Gaspar Noé…
Et pour faire vivre tous ces lieux du film et du souvenir, vous aviez beaucoup de sons de Mexico? Vous avez fabriqué des sons spécifiques ?
CS : Une partie des sons que nous avions venait de l’ingénieur du tournage Santiago Nuñez et puis Martin Hernandez s’est occupé de faire aussi des sons seuls pendant et après le tournage dans les différents décors. Avec Theo Serror, à Paris, nous les avons préparés mais nous nous sommes rendu compte que ça n’allait pas être suffisant. C’est Leo Heilblum, ingénieur du son et musicien qui vit là-bas avec qui Nicolas avait déjà travaillé sur d’autres projets qui s’en est occupé.
KY : En ce qui me concerne, la grande difficulté dans la composition de la bande son du film a été de saisir ces sensations et ces souvenirs très personnels d’Alejandro et de les retranscrire en sons. Il nous fallait les sons adaptés précisément pour aller dans cette direction là. Ceux du tournage n’étaient carrément pas à la hauteur de l’ambition du film. Nous avions donc prévu d’aller à Mexico pour enregistrer nous-mêmes les sons et les ambiances qui nous aideraient à developper le personnage que devenait la ville de Mexico dans Bardo mais, finalement, nous n’avons pas pu nous rendre sur place alors Nicolas a eu l’idée de demander à Léo de les enregistrer pour nous. Il n’a pas abordé ces enregistrement avec une approche de « musicien » mais nous avons pu ainsi recréer ce fameux « Kakayanga » (ou Cacayanga) dont Alejandro nous parlait pour décrire l’ambiance sonore qui régnait à Mexico. C’est un terme qui décrit un joyeux bordel sonore en somme, mélange de voix, de musiques diffusées dans la rue, etc. Alejandro voulait retrouver et sentir physiquement sa ville. Surtout pour la scène ou Silverio déambule à pied dans les rues de la ville, juste avant la scène où il se retrouve face à tous ces corps qui tombent…
NB : J’avais travaillé avec Leo sur deux albums de Patti Smith pour le Sound Walk Collective, et comme, malgré mon insistance, je n’avais pas été autorisé à aller à Mexico pour enregistrer moi-même ces sons, je me suis dis qu’il fallait quelqu’un qui ait vraiment une oreille musicale. Leo est principalement compositeur de musique de film mais son travail personnel est un mélange de travail instrumental et de « field recordings », il a donc apporté un rapport singulier à Mexico. Par exemple, depuis le tremblement de terre, les cloches de Mexico ne sonnent plus car les structures des églises ont été fragilisées, Leo a réussis à en faire remettre en marche certaines pour pouvoir les enregistrer pour le film. Du coup, les cloches que l’on entend dans Bardo appartiennent littéralement au monde du rêve, puisque les habitants de Mexico ne peuvent aujourd’hui plus les entendre dans la réalité. Leo a fait un travail formidable à la fois au niveau artistique mais aussi au niveau technique.
Comment avez vous travaillé avec Jon Taylor, le mixeur de Iñarritu depuis ses début je crois ?
KY : Les mixeurs Jon Taylor et Frank Montano nous ont été présentés assez tard. Pendant toute une phase du travail j’ai avancé comme si je mixais le film, en sachant qu’il faudrait refiler le bébé à d’autres mixeurs à une certain moment. Le moment venu j’ai transféré mes sessions hétéroclites (certaines mixées d’autres pas…) mais Jon et Frank se sont parfaitement adaptés, je trouve qu’on a vraiment travaillé en harmonie. Je n’ai pas compté le temps de mix mais je pense qu’avec les pré-mixs, on a du faire 15-16 semaines.
Et sur ces 16 semaines, je pense qu’Alejandro aura été présent 14 semaines. Le studio s’est transformé en laboratoire sonore géant au sens propre comme au figuré puis que nous mixions dans l’auditorium Hitchcock des studios d’Universal.
J’aimerais pouvoir expliquer quelle est, d’un point de vue esthétique, mon approche du mix en général et sur ce film en particulier mais cela me semble impossible. Je veux dire que je n’ai jamais d’idées préconçues sur l’esthétique du mix . D’autant plus qu’en général je monte et je mixe en même temps. Tu commences en général avec un parti pris naturaliste et tu repasses des dizaines de fois sur la même séquence en y ajoutant des couches et des couches d’intention puis tu procèdes par soustraction. Tu enlèves, tu enlèves. en gros tu fais en sorte que les idées qui naissent pendant le mix se dessinent mieux et pour ça en général tu soustrais.
Il me semble que le mix consiste en une sorte de palimpseste d’intentions. mais c’est un peu pareil au montage son.
Pour résumer mon approche, qui je pense est assez partagée par d’autres mixeurs, est plutôt empirique, et cette manière empirique de mixer dont je parle rend extrêmement compliqué ce qu’Alejandro nous demandait de faire avec ses mixeurs, Jon et Frankie, c’est-à-dire de « driver » Frankie et lui dire comment il devait mixer les effets, les ambiances et les bruitages du film… Il s’agissait finalement de lui indiquer une succession de gestes que j’aurais fait mais sans pouvoir les analyser moi-même.
Résultat à la demande d’Alejandro certaines scènes sont un « copier-coller » de notre version du mix (Nico et moi-même). Et quand je parle d’harmonie avec Jon et Frankie c’est qu’ils n’en ont absolument pas pris ombrage. Nous nous sommes soutenus mutuellement.
NB : Le mixage a été très perturbant, car John était fantastique mais Franky est un très bon technicien mais qui n’a absolument aucune autonomie au niveau artistique, il faut absolument tout lui expliquer, pour chaque seconde de la bande son. Au début, je faisais des speechs pour donner les orientations générales de mix, je lui expliquais la manière dont avait été conçues les sessions, mais très vite on a compris que Frank serait incapable d’en tirer quoi que ce soit, on était donc en permanence derrière lui à tout lui dire, ça a été très éprouvant. D’ailleurs ce film a été pour moi une des expérience les plus éprouvantes mais aussi les plus intéressantes de ma carrière, il y aura un avant et un après AGI (Alejandro Gonzales Iñarritu). D’abord cette idée de faire plusieurs versions d’une même séquence : une version grotesque, une version réaliste, une version psychédélique etc … pour finir par en faire une autre version encore différente qui soit un montage - collage de ces différentes versions est pour moi une pratique tellement interéssante que je veux absolument continuer à le faire sur mes projets futurs. L’idée de pouvoir pré-mixer les séquences pendant le montage son est aussi quelque chose que je veux tenter de garder lorsque cela sera possible sur d’autres projets.
Ce qu'il faut dire quand même, c’est que vers la fin du travail, un jour, après les différentes rectifs de mix, AGI nous a convoqué de manière solennelle sur Zoom… alors on était un peu flippés. Puis AGI apparait sur l’écran et commence à nous parler, c’était pour nous dire que le film était terminé, qu’il voulait nous remercier car il n’avait jamais eu autant de plaisir à faire le son d’un film et que, pour lui, c’était la bande son dont il était le plus content et qu'il espérait bien que l’on puisse retravailler avec lui dans le futur.
Évidement, on était tous très heureux et fiers de savoir qu’une si petite équipe ait pu faire un si gros film, je pense sincèrement que cette manière « hollistique » ou bien « organique » de travailler a été fondamentale pour la réussite d’un tel projet.
K.Y: Tout ce qu’on a pu dire dans cet entretien peut paraître par moment contradictoire d’un paragraphe à un autre (surtout moi) mais j’ai l’impression que c’est à l’image de la fabrication de ce film et du processus qu’Alejandro a créé. Un travail basé sur la construction mais aussi sur la dé-construction et l’hésitation. Un travail forcément sur le temps long, impossible à réaliser dans un cadre de fabrication classique d’un film.
Epilogue ?
NB : J’ai un petit souvenir qui me fait toujours sourire. J’aime bien travailler avec un jeune monteur son qui s’appelle Theo Serror, je pense que ça va être un très bon monteur son et il a travaillé avec nous sur Bardo depuis Paris. À un moment, j’ai insisté pour qu'il vienne à L.A pour nous aider, et on l’a laissé superviser le mixage une après-midi dans le grand Audi Hitchcock avec AGI. Quand je suis revenu, il était presque en transe! Comme s’il était en train de piloter une fusée pour aller sur Mars, il avait plein d’étincelles dans les yeux. Je crois que ce genre de situations extraordinaires vous donnent énormément d’énergie pour continuer à apprendre.
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