CANNES 2021 : "ANNETTE", entretien avec Erwan Kerzanet
Le 6 juillet 2021 était enfin projeté (en ouverture de la compétition) dans le Palais du Festival, à Cannes, après une année d’attente dûe à l’annulation de l’édition 2020 pour cause de pandémie, le nouveau film de Leos Carax, Annette. Ce long-métrage entièrement musical avec Adam Driver et Marion Cotillard, est produit par Charles Gillibert et a été tourné courant 2019 entre la Belgique, l’Allemagne et Los Angeles. Erwan Kerzanet, membre de l’AFSI, s’exprime sur la fabrication du son de ce film musical atypique enregistré en « live ».
Par rapport aux autres films que tu as pu faire, notamment Holy Motors, en quoi cette préparation a-t-elle été différente? Qu’est-ce que cela signifie « enregistré en live »?
En 2011, j’avais collaboré avec Leos Carax sur Holy Motors, il y avait déjà deux scènes musicales dans le film qui avaient occupé une bonne partie de ma préparation, celle où la fanfare de musiciens joue en marchant dans une église et celle où Kylie Minogue chante au milieu de la Samaritaine devenue un chantier plein de ciment et de poussière. Pour ces deux scènes, Leos Carax voulait conserver le son direct. Il a donc fallu une préparation minutieuse qui permette de conserver le son du tournage, de ne pas avoir à s’exposer à le ré-enregistrer. Parce que le nœud du problème est là. La performance de l’artiste est liée organiquement à la situation de tournage. Ce n’est pas juste une question de rendu sonore, c’est surtout une question d’interprétation !
Il y a chez Leos Carax une idée que je crois retrouver presque à chaque scène : que la part de rêve est là, dans l’écriture, dans le contenu des plans, dans l’image, mais que le son cherche à conserver une part de réel: ce qui a été tourné a eu lieu « pour de vrai » comme disent les enfants et le son direct est de ce côté-là. Cette idée m’apparait encore plus justifiée pour une scène musicale et chantée car le registre de « comédie musicale » renvoie culturellement à un espace onirique ou fantastique, détaché du réel, dont on cherche justement à s’éloigner. C’est le cas encore récemment de Lalaland.
Quand le projet d’Annette est arrivé, et que Leos Carax a demandé si on pouvait enregistrer tout le film en son direct, cela m’a paru naturel de sa part, et pas impossible à fabriquer, puisqu’on l’avait déjà fait dans Holy Motors en 2011. Chaque moment de Annette se présentait comme une combinaison des deux scènes musicales de Holy Motors : l’église avec des instruments jouant en live et Kylie Minogue chantant à capella dans la Samaritaine par dessus une musique extra-diégétique. Pour Annette, il s’agissait d’un film où chaque scène serait en musique et chantée. Il fallait, pour que ça marche, que les acteurs soient capables de chanter tout les jours, sur tous les plans, pour toutes les scènes du film. C’était beaucoup plus risqué que Holy Motors. Mon vrai travail pour rendre possible de garder le son direct a donc été en grande partie de définir une architecture de travail technique et artistique en parallèle, d’un côté avec l’espace musique du film, de l’autre avec l’espace technique (tournage et post-production) qui tienne la route, et ne s’effondre pas au bout de quatre jours.
Mais j’insiste bien sur cette dimension, la grande question pour moi n’était pas la technique, c’était la qualité d’interprétation, c’était ça le plus important. Il a fallu donc commencer très en amont à préparer le terrain pour que l’interprétation soit la plus satisfaisante.
Comment s’est faite ton entrée dans le film, comment s’est organisée la phase de pré-production ?
Le film est vraiment parti d’un petit noyau autour de Leos Carax. Nous avions presque tous collaborés sur Holy Motors sauf Tatiana Bouchain, directrice de production exceptionnelle que je connaissais déjà d’autres films. Nous sommes entrés en préparation avec une envie incroyable de relever le défi, on voulait transformer en possibilité tout ce qui nous semblait impossible à faire. Surtout que nous étions tous convaincus qu’il était possible de faire des choses qui ne se font pas d’ordinaire mais que nous pourrions faire ensemble, avec Leos Carax, puisque lui le voulait. Nous avons ensuite développé un système de préparation très autonome, nous avons organisé des lectures de scénario sous toutes les formes possibles, à 2, à 4, à 30…. En fonction des problèmes à résoudre ou des phases de prépa. Caroline Champetier est très forte sur cette modalité de travail, elle en fait vraiment un style et Tatiana est quelqu’un qui aime vraiment la fabrication d’un film, dans ses aspects techniques mais aussi humains, elle invente beaucoup aussi.
On a même organisé très en amont des réunions son / musique où tout le monde était présent : production, tournage et post production. Tout a pu être mis sur la table très vite et chacun a pu contribuer à ce que le film se déroule dans une compréhension partagée par tous.
Quels ont été les différents problèmes et demandes inhérents à ce film pour le son, et comment y-as-tu répondu?
Le film étant musical, tout devait reposer sur des playbacks à la fois aboutis et modifiables. Il était important pour Leos de savoir qu’il pourrait adapter les playbacks à un mouvement de caméra, au déplacement d’un acteur, sur le plateau, si nécessaire : tempo, ajout de mesures etc…. Le scénario était une série de morceaux écrits par les Sparks, il a commencé par les enregistrer et les faire interpréter par les acteurs du film.
Puis il y a eu une phase de travail où Leos a passé beaucoup de temps à les modifier, comme s’il montait déjà le film tourné, pour faire en sorte que, petit à petit, les chansons des Sparks deviennent l’ossature du film à venir. On a donc mis en place un poste de « music editor » qui travaillerait exclusivement pour le réalisateur (normalement, un music editor travaille pour le compositeur) et le suivrait au fil de la production pour modifier les sessions protools des playbacks sur le plateau en fonction de ses besoins, pour s’adapter aux circonstances de tournage, puis en post-production. Une sorte de mémoire du montage des musiques était fondamentale, Leos se souvient de tout. J’ai ainsi présenté Maxence Dussère à Leos. Maxence avait travaillé 4 ans comme assistant de Nicolas Becker et je savais qu’il aurait une grande polyvalence. En plus de ce que lui demandait Leos Carax sur les édits musique, je savais que je lui demanderais aussi de gérer les diffusions sur le plateau, il fallait quelqu’un de très débrouillard, de très autonome. C’était la première fois qu’il se trouvait sur un tournage, il a été ébouriffé par Adam Driver. Il a été génial et je crois qu’il a vécu ça avec un grand émerveillement.
Nous avons ensuite travaillé avec un superviseur musique américain, Marius de Vries, pour finaliser notre dispositif technique. Marius avait une grosse expérience sur des films musicaux comme producteur et compositeur (Lalaland, Moulin Rouge!, Cats… mais aussi Bjork, Madonna) Je lui ai montré mes croquis et il nous a aidé à les compléter (micros mains pour parler au acteurs à travers les oreillettes etc…)
Puis, Maxence et moi avons commencé à construire nos roulantes, la mienne constituait les « entrées », la sienne les « sorties » et entre ces deux roulantes, tout un tas de communications possibles permettant d’assurer une fluidité de workflow.
Sur le plateau, tout fonctionnerait sur une diffusion en oreillettes (chaque plan pour chaque acteur pendant quatre mois… !), on en a utilisé en masse avec les foules et les orchestres.
As-tu apporté un soin particulier à la collaboration avec les autres départements du fait de la musique ?
Sur Annette, il y avait des collaborateurs exceptionnels. Je suis abasourdi par le travail que Caroline Champetier a fait sur ce film. La somme de choses qui entrent dans les images me semble tellement énorme… On a travaillé en parallèle, pour Leos, la musique et l’image ont été des volets assez distincts en phase de préparation. Caroline disait en blaguant qu’elle faisait un film muet, parce qu’elle nous voyait nous exciter avec la musique dans notre coin, mais en réalité ça a été un travail partagé tout le long de la fabrication du film et nous nous parlions beaucoup entre nous. Le travail avec les costumes et les accessoires aussi ont eu leurs moments intenses !
L’avantage, sur ce film, c’est que je bénéficiais d’une meilleure réception des autres corps de métier parce qu’ils disaient : « ah le son est important, c’est un film musical ». C’est un peu absurde car on devrait toujours bénéficier de cette attention de la part des autres départements. C’est même souvent beaucoup plus difficile de faire du son quand il n’y a pas de musique ! Je crois que la grande faiblesse de beaucoup de bandes son tient véritablement à la fragilité de notre présence en préparation. C’est un vrai problème. Il s’est installé dans les consciences et dans les habitudes des réalisateurs (-trices) et /ou directeur (-trices) de production qu’il faut procéder par étape et que le son peut « venir après… » : mais après quoi? C’est pendant que les idées se formulent, pendant que les décors se cherchent et pendant qu’on imagine le film qu’il est possible de donner envie au réalisateur ou à la réalisatrice de s’adapter à des contraintes pour rendre le film meilleur. Pour Taj Mahal, Nicolas Saada m’a impliqué 6 mois avant le tournage. L’assistant réalisateur m’avait dit : « on a rien se dire, c’est un peu tôt non? » Mais moi, j’avais beaucoup de choses à dire! Les conséquences de ma présence ont été concrètes … sur l’esthétique du film et les modalités de tournage, notamment sur la construction du décor du Taj dans le studio d’Epinay et sur la décision de faire jouer Stacy Martin avec une oreillette dans laquelle je rejouais des sons enregistrés en Inde au cours d’une journée spéciale de « tournage sonore » (sans caméra). Ce qui nous a permis de tourner ensuite à Paris avec les sons pré-montés et de ne pas avoir à fabriquer tout cela après. Un gain considérable d’énergie je crois. Un gain aussi sur la personnalité du film!
La prépa est essentielle et le temps partagé du travail aussi, c’est là qu’on prend confiance, que viennent les idées. Dans le contexte de co-productions internationales (franco-belge par exemple, devenues très fréquentes), nos préparations sont encore plus fragilisées parce que les uns et les autres ne se mobilisent pas de la même façon. Il n’y a que le fait d’être présents ensemble qui marche. C’est pour cela qu’il était crucial de commencer à travailler côte à côte avec une personne de confiance comme Maxence pour moi. L’excellent Thomas Berliner, venait de Bruxelles mais s’est installé sur Paris le plus vite possible et nous avons travaillé à trois jusqu’à notre départ pour la Belgique où nous avons fait encore deux semaines de préparation avec les chanteurs dans un théâtre. Nous avons ainsi pu finir de préparer le film sur place, se rendre sur les décors et préparer la pose de HF dans certains costumes délicats comme le peignoir que Henry porte sur scène. La scène de théâtre où nous avons tourné le show a dû être recouverte entièrement de plaques isolantes pour annuler les craquements du sol. Florian Sanson (Chef décorateur) a intégré des éléments pour l’acoustique de ses décors, les carrés que l’on voit sur les murs de la salle du parloir sont destinés à réduire l’acoustique ingrate de cette pièce…
As-tu changé ou complété ton matériel de tournage pour Annette, fait des choix particuliers ?
Il a fallu dimensionner à l’échelle du projet. Sur le plan humain et matériel. Nous étions 5 sur le plateau. Je m’occupais des entrées et Maxence des sorties. Thomas Berliner à la perche avec deux seconds Barbara Juniot plutôt préposée à la perche et aux HF en loges et Pierre-Nicolas Blandin au plateau et aux oreillettes. Nous avons eu des renforts pour les enregistrements d’orchestres. Pierre Marie Dru, le superviseur musical du film nous a épaulé sur cet aspect. C’est lui qui a suivi aussi de près toutes les questions importantes liées à la musique, cherché les instrumentistes, anticipé les problèmes qui se poseraient en post production. Il a fait un travail incroyable, il a fait beaucoup plus que ce que l’on fait d’ordinaire sur un film.
La roulante de Maxence avait différents départ, entre autres pour les oreillettes, fondamentales si l’on veut garder le son direct. Nous avons utilisé des Phonak analogiques. Les Roger (numériques) ont un son un peu meilleur mais ont pas mal de problèmes de portée. Parfois nous utilisions des oreillette filaires Bubblebee (figurants etc..) mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, les acteurs qui chantent sont pénalisés par des ear-monitors de scènes, ils ne s’entendent plus jouer entre eux sur le plateau. La Phonak conserve une écoute de plateau presque transparente pour les acteurs, ce à quoi ils sont habitués. Avec peu de pratique, ils s’en sortent très bien. Cela demande un peu plus de préparation avec les chanteurs professionnels.
Nos nous sommes aussi penchés sur la voix chantée. Nous avons travaillé avec des micros de studio sur la perche. Thomas a perché beaucoup de scènes au U87. Nous avons aussi choisi de travailler avec les DPA (4018, 4017, 4011, 4097 et 4006) qui sont fréquemment utilisés en musique.
Côté HF, j’avais tout essayé en préparation, j’ai choisi d’utiliser les Sennheiser de la serie 6000 qui sont très petits. Je savais que je mettrai souvent deux émetteurs sur les acteurs. Les 6000 satisfaisaient à la fois sur la compacité et la qualité du son.
Sur certaines scènes nous avons utilisé 30 HF, et parfois 30 ou 40 oreillettes. Nous avons utilisé des enregistreurs Cantar X3. Maxence aussi utilisait un X3 pour enregistrer et diffuser ses sources protools via DANTE. C’était un monde nouveau pour lui, il a du se former au X3. Mais je savais que pour certaines scènes ce serait utile, notamment pour la scène en moto, Maxence a tout géré tout seul depuis le coffre de la voiture qui filmait la moto : il envoyait les playbacks, parlait aux acteurs pour transmettre les indications de Leos par les oreillettes et enregistrait les voix !
J’en profite pour rendre hommage à Jean-Pierre Beauviala, l’inventeur du Cantar. J’avais utilisé plusieurs Cantar X2 pour la scène de l’Eglise de Holy Motors. Il était venu nous voir sur le plateau. Jean-Pierre est mort peu de temps avant le tournage de Annette et pour ce film j’avais décidé de tout faire avec plusieurs Cantar X3. C’est une machine qui a littéralement rendu possible notre travail sur certaines scènes de ce film et je pense à lui à chaque fois que j’utilise mon enregistreur.
Par ailleurs, je tiens à remercier infiniment Olivier Binet, Romain Becquet et Franck Hervouet chez Tapages pour leur soutien incroyable et l’énorme accompagnement de Matthieu Massard en prépa ! Je voudrais aussi saluer Rodolphe & Julien Fabbri chez Aeitech qui ont mis à notre disposition des enceintes K-array exceptionnelles pour le plateau. Bernard Scyeur de RF Transmission en Belgique nous a aussi bien aidé avec les plans de fréquences.
Tu as eu des difficultés particulières, sur les scènes de stand up par exemple ?
Le choix de micros de scène ! On ne s’en rend pas compte en voyant le film mais ces scènes sont extrêmement compliquées à tourner. On a filé les séquences à plusieurs caméras en plan séquence de part et d’autre de la scène. Adam Driver fait la quasi totalité de sa performance avec le micro main, il a fallu trouver un micro dont les bruits de main soient les moins pénibles, la qualité de la voix parfaite et les souffles intéressants. Le hic, lorsque l’on trouve le bon micro pour le son, c’est qu’il doit être validé pour l’image. Ces micros vont être collés au visage des acteurs, on se soucie donc évidemment de leur aspect visuel. J’ai donc fini par faire acheter un DPA D:Facto et cherché partout des grilles grises. Il nous fallait des grilles en plus parce que Adam Driver devait jeter le micro pendant le plan. Dans le film, on voit d’ailleurs Adam ramasser le micro et remettre la grille. Pour les Chorus Girls, il a fallu trouver des micros qui donnaient un look à la scène et me permettent d’enregistrer dans une logique studio leurs voix. Lorsqu’elles chantent sur scène tout est en son direct. J’ai proposé à Leos Carax des AKG C414 mais il voulait la face dorée vers la caméra, je les ai donc utilisés en omnidirectionnel (!)
Les playbacks sont envoyés à la volée par Maxence dans les oreillettes de tout le monde. Lorsque la foule chante et répond à Henry, c’est aussi du direct, retravaillé ensuite par Katia Boutin qui y a ajouté des sons seuls de plateau. Mais comme je voulais une sensation musicale, nous avons enregistré les foules comme s’il s’agissait d’instruments. Nous avons placé jusqu’à 30 micros (DPA 4011) dans le public pour avoir le sentiment d’une écoute à la fois proche et détaillée, de proximité et d’ensemble, de masse.
Sur scène, la force du jeu de Adam Driver vient de la puissance de ce qu’il invente avec son micro main. Pour l’aider à jouer il fallait que je me dédie avec beaucoup de concentration aux contrôles des niveaux de son retour, c’était sur un fil pour qu’il s’entende souffler dans le micro et éviter les accrochages « larsens ». La scène est à l’image du dispositif technique, c’est à la fois très lourd, pharaonique, mais tout se joue sur une chose extrêmement fragile : ici, l’intimité de Henry avec son micro main. Gérer la dynamique de toutes ces entrées et sorties en même temps sur la durée du plan séquence avec de telles variations de dynamique (chuchotements, éructations, chocs micros, hurlements du publics) a été très sportif.
Il y a des scènes où les instruments jouent aussi en « live », comment as-tu procédé?
Effectivement, tous les instruments à l’image, pratiquement, jouent vraiment. Il y a des fois où c’est contraignant mais Leos Carax aime que ce que l’on filme soit au plus proche de la situation réelle. Henry, son public, les chorus girls, l’arrière et le devant de la scène, l’intimité et l’exposition au public etc… tout est là en même temps. Dans la scène où Simon Helberg joue du piano sur la scène du Concertgebouw de Bruges, l’orchestre s’accorde vraiment, et ce que l’on entend est du « live » enregistré par Jules Fradet, spécialisé dans l’enregistrement de musique pour film à Bruxelles, avec un arbre Decca et des appoints. Simon Helberg joue sur son piano et l’orchestre enchaîne ensuite l’Aria qui va courir sur toute la scène de la forêt, là aussi en « live ». Il est évident que l’on aurait pu refaire tout en post production mais l’incongruité de la scène tient à la coexistence de tous ces éléments qui sont là en même temps. Simon Helberg chante en jouant vraiment aux côtés d’un orchestre qui joue vraiment. Idem pour la scène où il parle à la caméra en dirigeant l’orchestre. L’orchestre joue vraiment pendant qu’il parle! Pour lui c’était très intense cette masse orchestrale qui s’exprime en même temps que lui. Il fallu travailler le son de l’orchestre entre chaque prise pour que la voix de l’acteur ne soit pas masquée par les instruments. Clément Ducol (arrangeur) a fait un travail d’orfèvre en rabotant une note par ci une note par là. Je lui disais quel mot m’échappait, on regardait la partition et on allait parler aux musiciens. C’est un souvenir dingue de travail !
Le travail avec les comédiens était-il différent de celui que tu fais habituellement en raison du chant ?
Les voix chantées nécessitent un effort délirant pour les acteurs. Sur le plan énergétique, la voix chantée ne peut pas se dérober comme une voix parlée et le rythme est entièrement imposé par le tempo du playback. C’est une prouesse de la part du casting d’avoir réussi toutes ces scènes. Nous n’avons eu aucun problèmes de voix cassée ou éraillées ! C’est à la performance des acteurs et à la manière dont ils ont eux même accepté tous les challenges du « live » que nous devons la réussite de nos difficultés de travail. Simon Helberg s’est organisé pour enlever son oreillette en cours de prise avant de tomber à l’eau, sans que cela ne se voit. Adam Driver a porté sur lui jusqu’à trois HF ! Il y a eu une quantité d’effort pour le chant indescriptible. Marius de Vries nous avait mis en contact avec Fiora Cutler, une chanteuse travaillant à Los Angeles qui a supervisé le coaching des chanteurs sur toute la durée du travail prépa et tournage, son travail a été titanesque … cette fille est d’une force surnaturelle.
Pour le personnage de Marion Cotillard, vous avez du déroger au live, notamment pour les scènes d’opéra? Tu as travaillé davantage avec la post-production?
Oui et non… Leos Carax n’aime pas l’idée que l’on fasse les choses en post-production. On a travaillé à conserver le maximum de la voix originale de Marion. On avait fait des essais de « morphing sonore » à l’Ircam, avec Nicolas Obin, une technique qui permet de prendre la forme d’un son et de le faire sonner comme un autre son : par exemple on prend une voix et des enregistrements de Marylin Monroe, et on colle les caractéristiques de Marylin Monroe sur la voix de départ. Le résultat est que la voix parle comme Marylin Monroe. Nicolas Becker l’avait fait pour une œuvre de Philippe Parreno. On a donc fait des tests pour habiller la voix de Marion Cotillard aux caractéristiques vocales de chanteuses soprano, mais le résultat ne collait pas avec le film, avec nos besoins. Alors on est revenu a une solution plus bio, on a cherché des voix de chanteuses d’opéra qui nous permettaient de prolonger ou remplacer une phrase ou un bout de phrase ou seulement un tremolo en fonction de ce que pouvait faire Marion. Son personnage passe alors de l’humaine actrice au monstre opératique ou au fantôme, comme Ann est le personnage du film qui est présent et absent à la fois, ça fonctionne très bien!
Lors de la scène où Ann passe de la scène de l’Opéra à une vraie forêt, les équilibres entre les voix de Marion enregistrées sur le plateau et les réenregistrements de la grande soprano Catherine Trottman effectués en post-production, changent en proportion. On entend davantage Marion dans la vraie forêt, ce qui lui redonne une humanité. Lors de la première apparition de Ann sur scène, l’orchestre joue, elle ne chante pas, elle tremble et nous entendons le battement de son cœur à travers son micro HF. Peu de gens s’en rendront compte mais c’est son vrai battement de cœur sur ce plan! C’est un autre exemple de l’intérêt que Leos Carax porte au son direct. Il y a presque dans chaque plan du film une trace du réel, un petit bout de son direct.
Le remplacement de la voix de Ann pour l’opéra est l’essentiel du doublage effectué sur Annette. Il y a quelques scènes qui ont réclamé de retravailler le son, sur le bateau ou la moto, même si avec les sons seuls de plateau et les acharnements de Leos Carax, Nelly Quettier (montage) et Katia Boutin (montage parole) beaucoup de phrases ont pu être conservées, même pour la scène de la tempête sous des trombes d’eau. Je crois que le doublage se résume à une journée pour Adam Driver et deux jours pour Marion Cotillard et Catherine Trottman. C’est une belle satisfaction pour un film de 2h20 !
C’est aussi une belle satisfaction de savoir que près de 75% des voix que l’on entend sur la bande originale vient de mes enregistrements de plateau !
En terme de bande son, le résultat est-il à la hauteur de tes idées à la lecture du scénario?
Je crois que le mixeur du film Thomas Gauder à réussi à concilier l’espace musical très ambitieux du film à un film de voix. La musique est un mélange de la pop des Sparks complétée par les réarrangements admirables de Clément Ducol amenant une obscurité cinématographique à la bande son. Mais j’ai toujours eu le sentiment que la volonté du « live » venait aussi assez simplement de la volonté de faire un film de voix. En fait, Annette n’est pas une comédie musicale au sens classique du genre parce que c’est avant tout un film d’auteur chanté par des acteurs. Un film de voix donc dans une tradition assez française en fait. Je trouve le mélange des voix et de la musique très réussi oui. L’équilibre entre le spectaculaire et l’intime est extrêmement fort et le film est très profond. Beaucoup de cette profondeur vient des voix et de l’humanité que le direct apporte. Je reçois énormément de messages qui me témoigne de la force du film et du rôle que le son y joue. C’est très fort, ça donne beaucoup de sens à notre travail.
Qu'as-tu appris sur ce film qui te servira pour les tournages futurs?
J’ai d’abord appris qu’on avait pu faire ce film alors que tout le monde pensait que ce n’était pas possible du fait du manque de temps, de budget etc… En soi, cela donne une force énorme. J’ai appris que je pouvais faire un film chanté sur quatre mois avec un bazar de matériel énorme sans me planter, c’est très satisfaisant. J’ai eu la chance avec ce film de pouvoir élargir mes méthodes de travail… Leos Carax demande des solutions artisanales. Il faut chercher les solutions matérielles, explorer, s’intéresser à tout. Je suis allé mettre mon nez chez des spécialistes de la musique ou du broadcast, des sonorisateurs de piscine etc… C’est très rafraichissant. Cela me donne aujourd’hui une approche très différente du travail. Je me dis … comment on va faire ce film là? Qu’est ce que l’on veut entendre et comment s’y prendre? Les outils adaptés viennent ensuite. Je travaille maintenant avec plein de micros différents qui me permettent d’étendre le son de plateau à d’autres domaines. C’est vraiment enthousiasmant de sortir des standards de travail. Je fais prochainement le nouveau film de Pietro Marcello (Martin Eden), il m’a demandé lui même de chercher des micros particuliers, je crois que je vais beaucoup utiliser des rubans comme le RE 84 de AEA et sans doute pour la voix un Neumann TLM 170…
J’ai aussi appris à m’émerveiller davantage des acteurs. Plus j’avance dans mon travail plus je suis subjugué par ce qu’ils font. C’est à la limite de la compréhension pour moi, c’est un mystère fascinant. C’est eux qui ont tout fait du son du film !
Mais ce que je retiens surtout c’est le gain qualitatif du travail du fait de travailler ensemble depuis le début. Pas seulement le son avec les assistants mise en scène, ce qui est déjà rarement le cas, mais absolument tout le monde : tous les corps de métiers en intégrant aussi la post production.
C’est-à-dire qu’en France il y a une absence de direction artistique. Il pourrait y avoir sur un film, une personne du son qui suive un film du début à la fin, constitue les équipe, redistribue les informations, assure la continuité du travail d’une étape à l’autre. En réalité, sur les films que nous faisons, les virages entre tournage et post production peuvent être tendus parce que souvent une nouvelle étape est un retour en arrière. Kiyoshi Kurosawa, avec qui j’ai tourné un film, voulait au départ la même personne pour la prise de son, le montage son et le mix, précisément pour ne pas avoir à perdre du temps à se ré-expliquer etc. Leos Carax est son propre directeur artistique sur tous les volets du film (musique, déco, caméra, lumière, costumes etc.) C’est ce qui rend possible le travail. Mais aujourd’hui, fort de cette expérience, je désire plus que jamais pouvoir commencer un film avec l’idée d’une continuité fluide dans le travail, que le montage son et le mixage sera une sorte de prolongation naturelle des idées qui ont été posées sur la table en préparation du film et développées par le tournage.
GENERIQUE :
Prise de son : Erwan Kerzanet
Playback & Music Editor : Maxence Dussère
Boom Operator : Thomas Berliner
2nd Sound assistant : Barbara Juniot
2nd Sound assistant : Pierre-Nicolas Blandin
Montage paroles : Katia Boutin
Montage son : Paul Heymans
Mixage : Thomas Gauder
Enregistrement des post-synchros : Olivier Guillaume
Supervision Musicale : Pierre Marie Dru
Executive music producer US : Marius de Vries
Coaching Vocal : Fiora Cutler
Prise de son musique live : Jules Fradet
Mixage musiques : Yann Arnaud & Nicolas Duport
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