César du Son 2023 - Entretien avec François Maurel, chef opérateur du son.
Erwan Kerzanet : La Nuit du 12 a été lauréat du César du meilleur son 2023 ! Bravo à votre équipe François Maurel et Fred Messa à la prise de son, Olivier Mortier au montage son et Luc Thomas au mixage. La productrice du film a bien souligné le rôle du son dans la force du récit et même dans sa dimension politique: aujourd’hui, être à l’écoute. François, Fred, avez été à l’écoute de ces voix, avec, aux côté ou même à la place des acteurs ?
François Maurel : La bande son de La nuit du 12 repose essentiellement sur les voix et leurs présences spécifiques. Elles sont renforcées par les silences ainsi que par le rythme imposé par des dialogues particulièrement ciselés. Jusqu’au travail du mix, qui a permis de mettre en valeur la puissance des voix et la musique d’Olivier Marguerit. À mon sens, c’est ce qui contribue à la force émotive véhiculée par le film. Dominik Moll a réuni des comédiens dont les voix se répondent. Leurs couleurs, leurs rythmes sont, je pense, des éléments fort de la dramaturgie du film.
EK: Vous avez adopté un dispositif spécifique pour travailler sur ce film?
FM : En effet, l’enjeu particulier de ce tournage, au niveau de l’équipe-son, a été d’essayer de restituer à sa juste valeur les silences et les voix. Des voix souvent dans le souffle. L’objectif était d’aboutir à magnifier ces voix, ces rythmes et ces silences. L’enregistrement s’est fait sur un Nagra VI, équipé d’une télécommande mise au point par Francis Guerra et Raphaël Mendez, le Nagra VI est un allié redoutable sur un tournage.
EK: Vous avez fait des réunions avant le tournage pour parler du son du film?
FM : Oui, Dominik a pour habitude d’organiser, largement en amont du tournage, une lecture du scénario. Tous les chefs de postes y sont conviés, du tournage à la post-production. Ce qui est formidable. Chacun peut y exposer et anticiper d’éventuels problèmes d’ordre technique et/ou artistique. Cela permet que des solutions soient trouvées.
Pour reprendre une des répliques de Sergi Lopez dans Harry, un ami qui vous veut du bien : « …A chaque problème, il y a une solution! ».
Il arrive que Dominik alerte au moment des repérages, sur des décors qui peuvent poser problème à la prise de son. Lorsque cela se présente, il demande à ce que nous passions vérifier toujours dans le souci d’anticiper et de trouver une alternative, lorsque cela est possible.
A titre d’exemple, sur le tournage de La nuit du 12, les intérieurs bureaux de la PJ étaient construits dans un bâtiment un peu vétuste, dont les fenêtres étaient fatiguées. Ce repérage en amont, nous a permis, grâce au travail de l’équipe déco de M. Barthélemy, de résoudre ce problème en posant un survitrage aux fenêtres et de sauver ainsi les directs.
EK: Vous avez fait presque tous les films de Dominik, il y a un style Dominik Moll en ce qui concerne votre travail ? Au sens d’une constante sur l’ensemble des expériences que vous avez eues auprès de lui… comment a-t-il évolué ?
FM : C’est exact, depuis que je travaille avec lui, je dirais qu’il y a une constante : il a toujours aimé le son et il attache énormément d’importance et d’attention au son direct.
J’ai des souvenirs de séances d’enregistrement de sons seuls avec lui pour son premier film Intimité en 1993. Nous faisions arriver un ascenseur sur un coin de table de salle à manger avec le « ding » d’ un verre à pied.
Ou encore, sur son film Lemming, en 2005, lorsqu’il s’agissait d’inventer des sons de respirations de rongeurs sortant du coma. Je crois que nous avions réussi avec une paille coincée dans la bouche.
C’est ce coté bricolage, artisanal qui est passionnant et excitant et qui plait beaucoup à Dominik dans la fabrication d’un film.
EK: Je reviens sur la dimension « écoute » de La nuit du 12… tu ressens cette dimension politique à ton niveau d’implication. Je veux dire, quelque part, le son direct entretient un rapport au réel, ici c’est une humanité qui s’exprime … c’est un truc auquel vous pensez en faisant le film?
FM : Il régnait sur le plateau beaucoup de bienveillance, de respect entre les différents corps de métiers, entre la mise en scene, les acteurs et les techniciens. Dominik n’est pas étranger à cette ambiance de travail. Il sait insuffler cette volonté de bien faire dans le respect des autres. Je pense que cet état d’esprit est forcément bénéfique au film, ce qui devrait être une évidence dans le travail quelque soit le film…
EK: Comment ça se passe avec les acteurs sur le plateau? Tu interviens auprès d’eux ou de Dominik?
FM: J’essaye d’ être le plus discret possible. En cas de doute ou de problème, je passe par le premier assistant mise en scene, pour ce film Thierry Verrier ou Dominik.
EK: Tu saurais nous parler d’un son qui t’a marqué au cours du tournage … un truc fort particulier ?
FM: Oui, je repense au soir où un policier de la PJ de Grenoble, qui était consultant sur certaines scènes du film, est venu nous rendre visite.
Nous tournions la scène sur le parking de la PJ, où Marceau vient se confier dans la voiture de Yohan. Je lui avais prêté un casque audio pour qu’il suive la scène. Il était à coté de moi, en immersion dans la scène avec le son dans les oreilles. J’ai senti l’émotion le gagner. Je me demande si il n’y avait pas un peu d’eau dans ses yeux…
Nous étions tous un peu secoués par l’intensité de la scène.
Il y aurait aussi la scène dans le bureau de la juge d’instruction avec le capitaine Yohan Vives. Les dialogues distillés par le filet des voix d’Anouk Grinberg et Bastien Bouillon, c’était bouleversant. Il y a dans La nuit du 12 beaucoup d’autres moments très forts.
EK : Pour toi que représente ce César?
FM: Mon premier César pour Harry un ami qui vous veut du bien (2001) m’a fait passer auprès de ma belle mère, d’« intermittent du spectacle » à « Césarisé ». Autant dire que ma vie en a été changée… Trêve de plaisanterie, j’étais un peu surpris, mais très heureux et aussi très fier de recevoir ce César, particulièrement pour ce film, La nuit du 12, d’ autant plus que sa bande son reste extrêmement sobre car ce sont généralement des films à grand spectacle ou les films musicaux qui reçoivent cette récompense.
À lire en complément , l'entretien avec Dominik Moll sur le son de La Nuit du 12.
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